Susana Mata

Impossible de parvenir à me souvenir de la façon dont j’ai découvert le travail de la peintresse espagnole contemporaine Susana Mata. Je crois que cela a quelque chose à voir avec un des entretiens de la série Les Apparences. Il me semble, qu’une artiste invitée a cité un nom de peintre espagnol·e et que la recherche de son site m’a fait plonger dans les méandres du web jusqu’à la découverte de l’œuvre de Susana Mata.

Les apparences

Pour celleux qui ne connaitraient pas ces émissions Twitch et la chaîne Youtube associée, il s’agit de longs entretiens, d’environ une heure à une heure trente, dans lesquels Thomas Lévy-Lasne, qui est lui-même peintre, donne la parole à un·e peintre·sse conteporain·e de la scène française. Ces entretiens sont passionnants et permettent d’entrer dans la peinture, même si je dois bien avouer qu’il me manque parfois des bases en matière d’histoire de l’art et de techniques utilisées en peinture. Le visionnage régulier des vidéos des Apparences change progressivement mon regard sur la peinture et le travail des artistes peintres. Le format long permet une vraie rencontre avec les artistes et ça c’est véritablement unique. D’ailleurs sur la plupart des sites personnels d’artistes, c’est un élément qui manque cruellement car les biographies sont souvent limitées à quelques informations techniques (formation, expositions, distinctions, artist statement de quelques lignes). Les sites de galeries font rarement mieux en présentant les artistes souvent de façon très sommaire, et les rares fois où c’est sous la forme de vidéo, celles-ci sont en général très courtes, quelques minutes tout au plus. Ici, les lives sur Twitch sont ouverts aux questions, et la chaîne YouTube permet de voir les épisodes manqués ou de revoir/retrouver des épisodes (note: il y en a une soixantaine déjà) ou des références citées (notamment des livres, mais aussi des noms d’autres peintre·sse·s apprécié·e·s par les artistes invité·e·s). À chaque fois cela m’amène à aller voir leurs sites bien sûr, mais aussi leurs réseaux sociaux (pour suivre celleux qui me marquent), et à acheter quelques livres aussi (on ne se refait pas… #tsundoku).


Bref, mon souvenir est donc flou, mais je crois bien qu’une peintre invitée a cité un nom, qui m’a mené vers un site d’expo, puis de clic en clic, la sérendipité de ma navigation m’a conduit jusqu’au travail de Susana Mata.

Enchères et émotion esthétique

La rédaction de ce billet de blog m’amène à m’interroger sur ce qui fait que j’ai remarqué ce travail , plus qu’un autre ? Nous voyons tous et toutes un grand nombre d’images, et personnellement les réseaux sociaux déversent sous mes yeux des torrents de photographies et de plus en plus de peintures. Cela fait aussi un moment que je regarde de temps en temps de sites de vente aux enchères (comme Interenchères, Drouot, Ricardo…). D’abord il s’agissait de voir si des petites choses accessibles passaient en vente, j’ai par exemple acquis via ces sites quelques lithos et gravures. Ces sites ont un triple côté addictif. Le premier, lorsque l’on se noie dans d’interminables listes d’œuvres et d’objets (oui, j’ai parfois aussi regardé des petits bronzes et des céramiques)… et encore je réduis l’abondance en activant le filtre des prix, histoire d’éviter d’être tenté par l’inaccessible ou le déraisonnable. Cette abondance crée un effet de puits sans fond similaire à celui entretenu par le défilement infini des réseaux sociaux ou de YouTube (infinite scroll). Le second effet addictif se produit si l’on se risque à suivre la vente en direct… car la poussée d’adrénaline est difficilement évitable lors du passage en vente - parfois fugace - des lots convoités. Le troisième se manifeste lorsque l’on a un coup de cœur pour une œuvre, mais qu’on la manque, par exemple en ayant proposé une enchère automatique insuffisante (et sans assister à la vente pour surenchérir). Il arrive alors que que le fantôme de l’œuvre désirée revienne nous hanter… Ces trois effets s’ajoutent bien entendu aux conséquences très addictives de la collection en elle-même, une passion parfaitement décrite par Emmanuel Pierrat dans son délicieux petit livre La collectionnite et dans le beau livre illustré par le photographe Guillaume de Laubier et intitulé Collections, collectionneurs.


Bref, je m’égare, j’ai ouvert cette parenthèse sur les ventes aux enchères, pour expliquer que j’ai vu défiler de nombreuses œuvres sur ces sites, et que je m’interroge encore sur ce qui fait que l’on remarque une œuvre en particulier, ou les œuvres d’un·e artiste spécifique. Ce qui suscite cette attention, voire cette émotion particulière est difficile à saisir. Et même s’il s’agit sans doute d’une question de philosophie pour débutant, j’avoue que cela me trouble. C’est d’autant plus troublant que la question se pose ensuite de savoir si cette émotion est permanente, ou si elle disparait, ou même s’estompe avec le temps lorsque l’on vit avec l’œuvre. Dans le cas des achats en ligne, il faut en plus ajouter l’étape de la confrontation à l’œuvre réelle, lorsque celle-ci est livrée et qu’elle devient concrète, avec sa dimension physique, sa texture, ses reflets… Cette étape est parfois décevante, neutre ou source d’un émerveillement absolu.


Cette réflexion m’ouvre les portes de la question de l’esthétique, une question de philosophie dont j’ignore tout ou presque, même si elle est fondamentale en matière d’art, #ShameOnMe. J’ai donc commencé à tirer un nouveau fil en rédigeant ce billet, en regardant la conférence de Charles Pépin : La beauté est-elle dans l’art ou dans notre regard ?, comme première introduction à la philosophie de l’esthétique. Je vais enchaîner avec son autre intervention : La beauté : Pourquoi en avons-nous plus que jamais besoin ? et sans doute sur l’écoute de quelques-unes des archives ses émissions sur France Inter. Je ne suis pas sûr d’être prêt à suivre le récent colloque Des propriétés esthétiques au Collège de France… une chose à la fois.

Cinq peintures de Susana Mata

Pour revenir à Susana Mata, je ne sais comment décrire l’émotion que j’ai ressentie en découvrant sa peinture. J’ai acheté une première petite peinture durant l’été 2022. Elle est issue de sa série sur le temps du bain (Bath time). Elle s’intitule sobrement Backlight (contre-jour). Elle est accrochée depuis quelques mois déjà dans mon bureau et sa présence apaisante est un bonheur de chaque jour. J’aime son calme, ses couleurs et son côté presque abstrait.


Susana Mata - Bath time - Backlight (2020)

J’ai ensuite suivi le travail de Susana Mata sur Instagram et sur son site, jusqu’à craquer pour d’autres peintures. L’une venait d’être vendue… mais j’en ai choisi d’autres qui sont maintenant accrochées, après un passage chez l’encadreuse (Déco Cadre - Anne Lassiaz, Le Thor).


La seconde est intitulée Here comes the sun (sans doute inspiré par la chanson de George Harrison des Beatles), commandée un jour de dépression légère, en octobre dernier, car je vois de l’espoir dans cette personne qui se lève vers la lumière du soleil, vers la vie derrière cette fenêtre ouverte, de l’espoir et en même temps une tension, une chute possible, un suicide, une instabilité, une fragilité, qui me fait vibrer, d’autant plus aujourd’hui puisque j’ai appris cette semaine qu’un de mes cousins s’était suicidé en se jetant sous un train.


Susana Mata - Here comes the sun


Le choix d’octobre m’ayant fait me plonger en détail dans son travail, j’avais remarqué d’autres peintures… qui ont dû faire leur chemin, si bien qu’en novembre, j’ai craqué pour d’autre œuvres…


La suivante provient donc aussi de la série Bath time et s’intitule Blue tiles (Carreaux bleus, ou Carrelages bleus, sans doute). J’aime ses couleurs vives, sa géométrie étrange de sa perspective, le calme repos, cette baignoire improbable, presque surréaliste, et qui est pour moi un beau symbole de la liberté créative de l’artiste. Après avoir effleuré la question de l’expérience esthétique, je dois dire que la phrase de Baudelaire, ” Le beau est toujours bizarre ” me donne ici une clé pour décoder ce que je ressens face à ces peintures.

Susana Mata - Blue tiles


Ensuite il y a Night confession (confession nocturne). Elle dégage une atmosphère très particulière et j’adore la lumière dans laquelle baigne cette image d’un intérieur de café. Cette ambiance, ces reflets. Le personnage solitaire m’a fait penser à la femme, sujet de la chanson Tous les bars de Stephan Eicher, enfin de Mark Daumail, Philippe Djian et Stephan Eicher. Elle résonne aussi avec une autre chanson, plus récente, intitulée Autour de ton cou, de Philippe Djian, Reyn Ouwehand et Stephan Eicher.

Susana Mata - Night confession


Pour finir (pour l’instant), la dernière est intitulée Good morning II, une image qui m’a fait penser à ma seconde fille, qui - comme moi - n’est pas vraiment du matin… alors cette peinture nous donne désormais du courage dès le petit déjeuner…

Susana Mata - Good morning II

Cela fait maintenant quelques jours que ces peintures sont accrochées. Elles ont trouvé leur place. Elles diffusent la magie de leur beauté. Elles entretiennent et nourrissent en continu l’expérience esthétique qu’elles ont allumée. Elles sont aussi prêtes à susciter, peut-être, une émotion esthétique à celles et ceux qui les croiseront chez nous, ou découvriront l’œuvre de Susana Mata en suivant désormais son travail sur Instagram ou son site web.


Lausanne, Janvier 2023


PS: Je dois encore confesser une question qui m’a traversé l’esprit, même si j’en éprouve  un certain sentiment de honte à cette idée : un·e collectionneur·se doit-iel parler des artistes qu’iel aime, au risque - marché et capitalisme oblige - de faire monter leur cote, au point qu’elle dépasse sa capacité à lui acheter d’autres œuvres ? Question égoïste et sans doute absurde, j’en conviens… mais que je devais confesser #SigmundIsStillAlive.

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